- génie
- * Les définitions du génie et de l'apôtre aident à situer la sphère de l'esthétique et celle du religieux-chrétien. Ces définitions sont énoncées en toute clarté dans un lumineux petit texte publié en 1849, Sur la différence entre un génie et un apôtre.** Le génie sort positivement de l'ordinaire anticipant l'avenir, il le fait apercevoir à tous les hommes qui ne sont pas des génies. Le génie échappe à son époque au sens où, dépassant dans la durée ses contemporains, il les projette vers un avenir (à venir) qu'ils ne connaissent pas encore ou tardent à reconnaître. Toutefois, étant seulement hors des normes auxquelles ses contemporains immédiats se réfèrent, le génie n'est pas définitivement hors norme s'il échappe incontestablement à son époque (cette caractéristique étant incluse dans sa définition), il n'échappe nullement à l'immanence comme telle mais s'y inscrit tout entier. La différence par laquelle le génie en tant que personnalité géniale impose son originalité, sa qualité spécifique, reste donc relative. Elle n'a de signification qu'en tant qu'elle est destinée à s'effacer ultérieurement.*** On ne doit pas confondre un fait étonnant (si inespéré, si inattendu, si humainement inédit soit-il) et ce que Kierkegaard appelle le fait paradoxal — celui-ci ne relevant en rien du domaine esthétique mais se définissant par rapport au christianisme-christianité. À la foi chrétienne n'ont accès ni l'entendement ni le génie. Contrairement à ce que font sophistiquement une théologie dévoyée et une science spéculative trop sûre de soi, il importe de ne jamais mélanger téléologie esthétique immanente et téléologie religieuse-paradoxale (cf. DGA, SV3 XV, p. 62-64/OC XVI, p. 160-162). Il est indispensable de respecter une conceptualité distinguant le temporel et l'éternel, le fini et l'infini, l'humain et le divin, l'intellectualité et la spiritualité, l'esthétique et le religieux, ou encore l'ordinaire (l'individu quelconque [« quelconque » n'étant pas péjoratif]), l'exceptionnel (le génie) et l'extraordinaire (l'apôtre). C'est seulement en s'aidant d'une telle conceptualité qu'on peut déployer une dialectique philosophique qui ne se réduise pas à du bavardage.
Le vocabulaire de Kierkegaard, Ellipses. Hélène Politis. 2002.