- alternative
- * Dès son titre, L'alternative énonce un enjeu philosophique qu'on résumera par cette formule redoublée ou bien « ou bien ou bien » — ou bien la spéculation. Que l'éthicien (qui parle dans la 2e partie de l'ouvrage) s'adresse à l'esthéticien (dont les propos occupent la 1re partie) pour le lui faire comprendre, permet d'apercevoir quelles analogies la spéculation entretient avec l'esthétique. Car c'est du côté de l'esthétique qu'apparaît d'abord le ou bien - ou bien, le aut-aut, non comme exigence éthique mais, tout à l'inverse, comme indifférenciation, comme invitation à l'indifférence l'esthéticien met la disjonction de l'être-là entre parenthèses, il suspend cette disjonction au profit d'un art du non-engagement qui se prétend aeterno modo. Il y a, selon l'éthicien, une proximité ambiguë entre stade esthétique et spéculation une absence analogue d'engagement, une non-inscription comparable dans l'effectivité peuvent leur être reprochées (cf. Alt SV3 II, p. 40-41 /OC III, p. 39-41). Au faux dilemme esthétique, au captieux développement dialectique spéculatif, au choix biaisé et en trompe-l'œil entre de purs possibles (au plan de l'esthétique) ou entre des contradictoires abstraits qui ne sont pas des contraires réels (au plan du Système), l'éthicien kierkegaardien répond par une compréhension différente du aut-aut qui, cette fois, pose bien l'alternative, au sens strict (cf. Alt, SV3 III, p. 149/OC IV,p. 143).** Dans ce contexte intervient une dénonciation de la médiation formulée par le juge Wilhelm qui n'accepte pas d'endosser le titre de philosophe, d'une part, dit-il, pour taquiner son ami esthéticien, d'autre part, plus sérieusement, parce qu'il veut maintenir fermement l'opposition entre éthique et spéculation (cf. Alt, SV3 III, p. 160/OC IV, p. 154). Wilhelm dénonce une semblable faute commise par l'esthéticien au plan de l'action et par le penseur systématique au plan de la pensée tous deux abolissent le principe de contradiction. A supposer même que les philosophes aient raison de lever-supprimer ce principe de contradiction et de faire se dépasser et se conjoindre les contraires dans une unité supérieure, il n'en resterait pas moins, dit Wilhelm, que cette opération ne peut concerner l'avenir comme possibilité d'advenir mais seulement l'advenu « les contraires doivent bien pourtant d'abord avoir été là, avant que je puisse les médiatiser. Mais si le contraire est présent, alors il y a un ou bien - ou bien » (Alt, SV3 III, p. 161/OC IV, p. 155).*** L'alternative entre la totalisation spéculative et le choix éthique est clairement indiquée par Wilhelm ou bien s'inscrire dans la dimension du passé en médiatisant des contraires révolus ; ou bien poser ces contraires sur le mode du Enten-Eller dans la dimension de l'ouverture temporelle de l'être-là, en pariant pour la liberté et l'avenir, ce qui suppose de quitter la spéculation. On abandonne alors la raison spéculative au profit d'une dialectique de l'entendement qui, loin d'éluder la contradiction entre les opposés, s'engage résolument dans ce qui, en langage hégélien, s'appelle « le travail du négatif », en acceptant non pas seulement d'y séjourner provisoirement (le temps qu'intervienne la fameuse relève spéculative), mais encore de l'affronter courageusement tous les jours et d'y vivre.
Le vocabulaire de Kierkegaard, Ellipses. Hélène Politis. 2002.